L'utilisation stratégique des fiducies

Les fiducies peuvent jouer un rôle essentiel dans le processus de planification de nombreuses familles. Plusieurs motifs peuvent vous inciter, votre famille et vous, à vouloir profiter d’un transfert de biens à une fiducie. Examinons brièvement le fonctionnement d’une fiducie et certains des usages courants qu’on peut en faire dans le cadre d’une planification, ainsi que les nouvellese exigences en matière de déclaration pour les fiducies canadiennes en 2023.

Une fiducie établit un lien entre une personne (le « constituant ») qui transfère la propriété légale de biens à une autre personne (le « fiduciaire »), dont le rôle est de gérer ces biens dans l’intérêt des bénéficiaires. Si vous êtes le constituant, vous pouvez – même si vous transférez légalement la propriété de ces biens – préciser dans les modalités du document de fiducie ou le testament de quelle façon vous souhaitez que les actifs de la fiducie soient gérés, investis et ultimement distribués.

Pour créer une fiducie, il faut répondre à trois exigences :

• vous (à titre de constituant) devez avoir l’intention;
• vous devez transférer des actifs existants désignés dans la fiducie; et
• il doit être facile d’identifier les bénéficiaires de la fiducie dès son établissement et tant qu’elle existe¹

Aux fins de l’impôt, il existe deux principaux types de fiducies :

• Une fiducie entre vifs, qui est créée et prend effet du vivant du constituant.
• Une fiducie testamentaire, qui n’entre en vigueur que par suite d’un décès. Celle-ci est généralement créée par testament, désignation de bénéficiaire ou déclaration.

En outre, une fiducie peut être discrétionnaire (les fiduciaires décident si le revenu et le capital doivent être versés, à quel moment et à qui), ou non discrétionnaire (le document de fiducie précise à quel moment et à qui le revenu et le capital doivent être versés).

Certains types de fiducies sont connues sous le nom de « fiducies de droit viager ». Une fiducie de droit viager est une fiducie qui subvient aux besoins d’un ou plusieurs bénéficiaires de leur vivant, ainsi que d’un bénéficiaire résiduel après le décès de ceux-ci. Les fiducies de droit viager les plus courantes sont celles qui permettent de subvenir aux besoins d’une personne ou de son conjoint ou conjoint de fait² de son vivant. Les biens qui restent dans la fiducie au décès (du survivant) sont ensuite légués à d’autres bénéficiaires, comme des enfants ou un organisme de bienfaisance.

Si vous transférez des biens en immobilisations (comme des actions ou des obligations) à une fiducie, aux fins de l’impôt, vous êtes généralement réputé avoir vendu ces actifs à leur juste valeur marchande au moment du transfert. En règle générale et sous réserve de certaines exceptions, vous devrez payer de l’impôt sur tout gain en capital découlant d’un tel transfert³. Toutefois, sivous réalisez une perte en capital, celle-ci pourrait être refusée en vertu des règles sur les pertes apparentes⁴.

Le fiduciaire peut distribuer le revenu et le capital aux bénéficiaires selon ce que permet le document de fiducie. Si le revenu est payé (ou payable) à un bénéficiaire dans l’année où il est gagné, il peut être déduit du revenu de la fiducie et devient ainsi imposable comme revenu du bénéficiaire. Le revenu conservé dans la fiducie est généralement imposable au taux d’imposition marginal le plus élevé.

Vous pouvez décider d’établir une fiducie pour de nombreuses raisons. Dans tous les cas, une analyse coût/bénéfice doit être effectuée. Notez également que les stratégies présentées pourraient ne pas convenir à toutes les situations.

Protection de l’héritage

Vous souhaitez peut-être subvenir aux besoins d’un conjoint ou conjoint de fait après votre décès, mais voulez aussi que le reste de votre succession soit transmis à vos enfants après le décès de votre conjoint ou conjoint de fait. Si vos enfants sont issus d’une relation antérieure, vous pourriez utiliser une fiducie de droit viager pour préserver leur héritage. Dans votre testament, vous pourriez, par exemple, établir une fiducie au profit de votre conjoint ou conjoint de fait et préciser que le revenu tiré des actifs (ou d’une partie des actifs) de votre succession servira à subvenir aux besoins de votre conjoint ou conjoint de fait survivant durant toute sa vie, mais que les actifs restants de la succession seront en dernier lieu transférés à vos enfants après le décès de votre conjoint ou conjoint de fait. Vous pouvez faire la même chose en établissant une fiducie de votre vivant.

Fiducies pour enfants mineurs

Les fiducies sont souvent utilisées pour faire des dons ou des legs à des bénéficiaires mineurs qui n’ont pas encore atteint l’âge de la majorité (18 ou 19 ans, selon la province ou le territoire de résidence). Comme un mineur ne peut pas légalement gérer ces fonds, il est souvent souhaitable de désigner une personne pour les gérer en son nom jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de la majorité, ou un âge plus approprié.

Contrôler les distributions aux bénéficiaires

Une fiducie permet en outre au fiduciaire de contrôler le moment et le montant du versement des distributions à vos bénéficiaires. Par exemple, vous pouvez établir une fiducie testamentaire dans votre testament en précisant que la moitié de l’héritage d’un enfant sera distribuée lorsqu’il aura 30 ans et l’autre moitié, lorsqu’il aura 40 ans. Ce niveau de contrôle peut être particulièrement utile dans le cas de bénéficiaires dépensiers ou handicapés, qui peuvent ne pas avoir le discernement ou la capacité nécessaire pour gérer eux-mêmes les fonds. Vous pourriez même donner aux fiduciaires la souplesse nécessaire pour changer le montant et le moment des distributions, ou peutêtre même pour décider à quel bénéficiaire ils doivent les verser, selon les circonstances.

Fractionnement du revenu

Si vous vous situez dans une tranche d’imposition élevée et que vous voulez servir les intérêts de membres de votre famille qui paient moins d’impôt, vous pouvez prêter des fonds au taux prescrit courant du gouvernement (ou à un taux supérieur)6 à une fiducie entre vifs dont des membres de votre famille, comme vos enfants ou petits-enfants, sont les bénéficiaires. Si le prêt est structuré et effectué de façon appropriée, le revenu qui est payé aux enfants ou aux petits-enfants à partir de la fiducie, ou qui est payable en leur nom pour des dépenses comme les coûts d’une école privée, de camps d’été ou de programmes récréatifs, peut être imposé entre leurs mains à leurs taux d’imposition inférieurs. Cela peut réduire considérablement l’impôt annuel de la famille lorsque le revenu peut être obtenu au-delà du taux d’intérêt prescrit.

L’effet net de faire un prêt à taux prescrit à une fiducie est que seul le revenu en intérêts au taux prescrit est imposé entre les mains du membre de la famille ayant le revenu le plus élevé, tandis que tout revenu de placement gagné par la fiducie, déduction faite de l’intérêt payé au taux prescrit. est imposé entre les mains des bénéficiaires de la fiducie.

Confidentialité

Une fiducie peut assurer la confidentialité à votre décès. En règle générale, un acte de fiducie est un document privé, alors que l’homologation d’un testament dans la plupart des provinces et territoires est un processus public permettant à qui que ce soit de connaître la nature et la valeur des actifs visés par le document. Diverses fiducies établies de votre vivant, comme une fiducie de droit viager, peuvent servir de substituts au testament⁷ et vous permettre de transmettre vos biens en toute confidentialité, au lieu de les léguer par testament, qui est généralement public.

Frais d’homologation et d’administration de la succession

Selon votre province de résidence, vous pouvez réduire les frais d’homologation ou l’impôt sur l’administration de la succession en établissant une fiducie et en y transférant vos actifs de votre vivant, car ces actifs ne sont généralement pas inclus dans la valeur de la succession. Les fiducies en faveur de soi-même et les fiducies mixtes au profit du conjoint sont souvent utilisées pour planifier l’homologation, car les transferts à ces fiducies ne sont pas imposables si l’auteur du transfert est âgé d’au moins 65 ans.

Réduire les possibilités de litige entre les héritiers

Une fiducie entre vifs peut contribuer à réduire les litiges entre héritiers. En effet, certains pourraient contester un testament en invoquant que le testateur n’avait pas toutes ses facultés mentales au moment de rédiger le testament ou qu’il a été manipulé. Une telle situation est moins susceptible de se produire lorsque vous établissez une fiducie de votre vivant et que vous donnez des instructions relativement au règlement de la fiducie et que vous en assurez l’exécution.

Fiducie d’incitation comparable

On peut utiliser une fiducie d’incitation comparable pour motiver un bénéficiaire. Cette fiducie est généralement conçue pour verser des distributions à un bénéficiaire lorsque celui-ci adopte les comportements souhaités, comme suivre des études postsecondaires ou obtenir un emploi salarié ou autonome. Par exemple, les modalités de la fiducie peuvent préciser que, pour que le bénéficiaire reçoive annuellement un revenu de 50 000 $ par année de la fiducie, il doit prouver qu’il a gagné au moins 50 000 $ par ses propres moyens au cours d’une année.

Fiducies d’héritage étrangères

Les fiducies d’héritage étrangères peuvent permettre à un résident canadien de réaliser des économies d’impôt substantielles si un membre de sa famille résidant à l’étranger prévoit lui léguer des actifs par voie de don ou d’héritage. Supposons, par exemple, que vous vivez au Canada et que vous vous attendez à recevoir une importante somme d’une personne qui a un lien de parenté avec vous et qui a toujours vécu à l’extérieur du Canada. Cette personne pourrait avoir la possibilité de transférer les actifs dans une fiducie étrangère, sans qu’aucun impôt canadien ne soit imputé sur les actifs ou le revenu de la fiducie. Si la fiducie est située dans un territoire où l’impôt est faible ou nul, il pourrait n’y avoir aucun impôt à payer sur le revenu annuel ou la croissance de l’héritage. Le transfert doit être fait directement de cette personne à la fiducie. Si vous recevez d’abord les fonds et les transférez ensuite à une fiducie d’héritage étrangère, l’exonération d’impôt ne s’appliquera pas.

À partir des fiducies dont l’année d’imposition se termine le 31 décembre 2023 ou plus tard, la plupart des fiducies canadiennes seront tenues de produire une déclaration de revenus, même si elles n’ont pas de revenu imposable. En général, au cours des années précédentes, seules les fiducies devant payer de l’impôt sur certaines opérations, comme la disposition de biens en immobilisation ou les distributions aux bénéficiaires, étaient tenues de produire une déclaration de revenus. De plus, à partir de ces déclarations de revenus, la plupart des fiducies⁸ devront déclarer des renseignements supplémentaires dans leur déclaration de revenus, notamment l’identité des fiduciaires, des bénéficiaires et des constituants, ainsi que de toute autre personne habilitée à contrôler ou à annuler les décisions du fiduciaire⁹. Les fiducies qui omettent de déclarer les renseignements requis peuvent faire face à d’importantes pénalités¹⁰.

Comme les lois sur les fiducies et les lois fiscales sont très complexes, vous devriez obtenir les conseils de conseillers juridiques et fiscaux avant de mettre en œuvre l’une des stratégies de fiducie décrites ci-dessus.

¹ Le Code civil du Québec prévoit des règles différentes. Aux termes du droit civil, une fiducie est définie comme étant un patrimoine constitué par un constituant qui transfère, de son patrimoine à un autre patrimoine autonome et distinct, des biens qui sont affectés à une fin particulière et confiés à un ou plusieurs fiduciaires qui devront les administrer. Pour garantir les droits du bénéficiaire, il suffit que le fiduciaire accepte d’administrer la fiducie. Afin d’être reconnu, un fiduciaire indépendant doit avoir été désigné officiellement à ce titre, et n’être ni le constituant ni l’un des bénéficiaires.

² Dans le présent article, le conjoint désigne une personne avec laquelle vous êtes légalement marié. Un conjoint de fait s’entend d’un conjoint de fait en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, c’est-à-dire une personne avec qui vous vivez dans une relation conjugale, à condition que vous cohabitiez depuis les 12 derniers mois ou que vous soyez les deux parents d’un enfant.

³ Des exceptions s’appliquent aux transferts à certaines fiducies, notamment une fiducie en faveur de soi-même, une fiducie mixte au profit du conjoint ou du conjoint de fait ou une fiducie au profit du conjoint ou du conjoint de fait.

⁴ Ces règles s’appliquent lorsque vous ou une personne affiliée rachetez les biens dont vous avez disposé dans les 30 jours et les détenez toujours au 30e jour. Cela inclut une fiducie dont vous ou votre conjoint ou conjoint de fait êtes le bénéficiaire majoritaire.

⁵ La « fiducie Henson » doit son nom à une décision de la Cour d’appel de l’Ontario (ministère des Services sociaux et communautaires de l’Ontario c. Henson [1989], 36 ETR 192 [Cour d’appel de l’Ontario]) concernant un père qui avait établi une fiducie entièrement discrétionnaire pour sa fille. Le ministère des Services sociaux et communautaires de l’Ontario voulait déterminer si la fiducie rendait l’enfant inadmissible à certaines prestations du gouvernement fondées sur le revenu. La Cour a décidé que l’actif ne devait pas être considéré comme lui appartenant. Au début de 2019, la Cour suprême du Canada a confirmé la validité de la fiducie Henson dans l’affaire S.A. c. Metro Vancouver Housing Corp Une nouvelle fenêtre s’affichera.. Consultez un conseiller juridique, car des provinces et territoires peuvent ne pas reconnaître les fiducies Henson aux fins d’admissibilité aux prestations gouvernementales.

⁶ Du 1er janvier 2023 au 31 mars 2023, le taux prescrit est de 4 %. Parfois, le taux prescrit est aussi bas que 1 %.

⁷ Veuillez noter qu’il est généralement recommandé d’avoir un testament pour couvrir tout actif résiduel ou effet personnel qui n’a pas été transféré dans la fiducie de droit viager.

⁸ Ces règles ne s’appliquent pas à certaines fiducies. Par exemple, les FAPH et les fiducies qui détiennent moins de 50 000 $ en dépôts, titres de créance d’État et titres cotés en bourse en sont exemptées.

⁹ Le Québec a indiqué qu’il a l’intention de se conformer à ces nouvelles exigences fédérales en matière de déclaration.

¹⁰ De plus amples informations sur ces nouvelles règles de déclaration des fiducies sont disponibles dans notre rapport Règles de déclaration renforcées visant les fiducies (PDF, 150 ko) Une nouvelle fenêtre s’affichera. .